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28 février 2005 1 28 /02 /février /2005 12:10

Dans le cadre des grandes conférences organisées par E3, nous avons eu le grand plaisir d'accueillir Monsieur Jacques Barrot, Vice-Président de la Commission européenne, Commissaire aux Transports.


Conférence de Jacques Barrot

Monsieur le Président, merci beaucoup de cet accueil très sympathique, auquel je suis très sensible.

Je veux dire à Daniel Vincent que si j’avais connu plus tôt l’association Espace Europe Equipement, j’en aurais été membre sans aucun doute. Parce que je partage vos passions : l’espace, l’équipement et l’Europe.

L’espace parce que j’ai vécu, comme vous l’avez souligné, dans un espace montagnard où on a le sens de l’espace. Marc Paoloni me permettra ce petit couplet pour commencer, car je veux montrer mon enracinement. J’habite cette moyenne montagne, le Massif Central. Ce sont de grands horizons, on a toujours envie d’aller plus loin car on pense que, sur la ligne d’horizon, il y a un peu le paradis. Pour moi, l’espace, c’est un élément majeur.

Nous devons réfléchir à ce qui va se passer sur la planète. Nous allons avoir 8 milliards d’habitants (nous en avions 1 milliard 500 millions au début du siècle, nous sommes maintenant 6 milliards, et nous allons passer à 8 milliards). Comment vont-ils se distribuer ? Nous dirons un petit mot du phénomène urbain tout à l’heure mais, en matière d’équipement, non seulement il ne s’agit pas de lever le pied, mais il faut être très attentif à toutes les évolutions à venir si nous voulons apporter aux citoyens des années qui viennent cette grande chance de la mobilité. En effet, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, les meilleures techniques de télécommunication (Internet et autres) ne vont pas réduire ce désir de mobilité, au contraire elles vont accroître le désir d’échanges entre les personnes.

J’en viens maintenant à mon point plus précis, les RTE, mais je voulais d’emblée dire combien je remerciais Daniel Vincent et vous tous pour votre participation à cette réflexion et aussi pour votre action parce que c’est un problème d’opinion. Il faut que nous fassions comprendre que l’aménagement de l’espace n’est pas un problème secondaire ; c’est un problème majeur à la fois pour la compétitivité de l’Europe et pour la qualité de vie des Européens.

Donc, bravo pour ce que vous faites, cher Président, et merci de m’avoir invité.

Il est primordial de doter l’Union élargie d’infrastructures de transport performantes. La Commission a encore souligné le 2 février dernier, dans sa communication sur la révision à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne, que l’existence d’infrastructures de transport moderne sur l’ensemble du territoire de l’Union était une condition sine qua non pour donner un nouvel élan au marché intérieur et pour préparer la croissance et l’emploi de demain. Le rapport de Wim Kok sur la relance de la stratégie de Lisbonne l’avait souligné : la compétitivité de l’Europe ne pourra être améliorée que si les infrastructures de transport deviennent une priorité sur notre agenda politique.

Il faut bien reconnaître que, malgré les efforts de Jacques Delors, qui avait bien compris que le marché intérieur ne prenait toute sa signification que s’il y avait vraiment une mobilité dans cet espace européen, l’on est resté à des résultats disons modestes, parce que, dans cette politique d’infrastructures, dans cette politique d’investissements, il a manqué cette ardeur indispensable qui nous aurait permis aujourd’hui d’afficher de meilleurs résultats.

Alors, comment en sortir ? Je vais très rapidement rappeler le bilan et citer quelques chiffres qui montrent l’importance de l’enjeu et, ensuite, on essaiera de voir comment on peut progresser.

Le bilan ? En dix ans, seulement le tiers des investissements prévus a été réalisé. Ce qui veut dire que, si l’on continue au rythme actuel, il faudrait encore vingt ans pour terminer les projets. Les retards les plus importants se concentrent essentiellement sur les liaisons transfrontalières ce qui est paradoxal puisqu’il s’agit des tronçons qui ont la plus forte « valeur ajoutée européenne ».

Cette situation est très dommageable pour la compétitivité de l’Union dans son ensemble. La persistance de goulets d’étranglement, de chaînons manquants sur les principaux axes transeuropéens représente un coût élevé en terme de congestion, sans compter les coûts liés à la pollution et aux accidents qui en sont le corollaire. En 2010, la congestion routière coûtera environ 1 % du PIB communautaire.

Cette situation est d’autant plus dommageable que, selon les études de la Commission, la réalisation du réseau transeuropéen permettrait d’apporter un surcroît de croissance exprimé à 0,2 et 0,3 points du produit intérieur brut, ce qui correspond à un potentiel d’un million d’emplois permanents créés. Et pour l’environnement, il faut savoir que la réalisation du réseau permettrait une diminution des émissions de gaz à effet de serre d’environ 4%, ce qui nous rapprocherait des objectifs de Kyoto.

Ce sont des chiffres, mais il y a aussi des situations tout à fait concrètes comme par exemple celle de l’Autriche avec le Tyrol qui aujourd’hui se trouve dans une situation totalement impossible. Je vais m’y rendre à la fin du mois de mars pour voir comment nous pouvons activer les projets sur le Brenner, mais il est bien certain que nos amis Autrichiens sont dans une situation impossible en ce qui concerne tant la pollution dans une des plus belles vallées alpines que l’aggravation des encombrements.

Donc voilà, nous avons aboli les barrières à la libre circulation des personnes et des biens, mais si nous recréons des barrières physiques, faute d’infrastructures, nous sapons les fondements même de la croissance et de la compétitivité de l’Union européenne que nous essayons de bâtir. Le Président Barroso l’a très bien compris en incluant dans le processus de Lisbonne ce très grand effort pour la mobilité des personnes. Il ne peut pas y avoir une Europe du savoir, de la connaissance, du partage des meilleurs savoir-faire s’il n’y a pas une mobilité accessible à tous. Mobilité des biens, cela va de soi, (nous savons les règles de l’industrie qui travaille en flux tendu), mais aussi, vous y avez fait allusion, Monsieur le Président, meilleure circulation de l’énergie puisque c’est à ce prix là que nous pourrons ouvrir les marchés de l’énergie et avoir une énergie européenne mieux distribuée et plus accessible à toutes les industries.

Comment peut-on réussir tout cela ? Et comment peut-on permettre ces progrès ?

J’y vois cinq conditions. Je m’excuse pour ceux qui ont déjà entendu ce discours, mais je crois qu’il est pédagogique de s’expliquer clairement.

La première de ces conditions concerne les perspectives financières pour 2007-2013

Il est certain que les Etats membres doivent se donner les moyens matériels de leurs ambitions. En matière de transport, cela signifie le respect de la dotation du budget RTE de 20,3 milliards d’euros sur sept ans proposée par la Commission et soutenue par le Parlement européen. Vous savez que nous avons le club des pays qui veulent s’arrêter à 1% du PIB. Nous, Commission précédente et Commission actuelle, nous en sommes en crédits d’engagement à 1,24%. Si nous devions nous éloigner de ce 1,24 de manière trop importante, non seulement nous n’aurions pas les moyens d’avoir une politique régionale dans les quinze Etats membres anciens, non seulement nous aurions des restrictions sur la politique de recherche, mais encore les réseaux transeuropéens souffriraient inéluctablement. Je n’aurais plus personnellement, au nom de la Commission, le levier majeur que représentent pour moi ces 20 milliards.

Il faut que d’ici le mois de juillet, je vais être très clair, la présidence luxembourgeoise réussisse à convaincre les Etats membres d’avancer et de se rapprocher le plus possible des perspectives ouvertes par la Commission. C’est fondamental.

Bien sûr, vous me direz qu’il y a peut-être des rubriques qui peuvent un peu diminuer, mais pas celle des réseaux transeuropéens. Certes si ma collègue chargée du budget, Mme Grybauskaité, ne dispose que d’un montant très insuffisant, elle ne pourra pas faire de miracles.

La deuxième condition, c’est d’avancer dans la mise en place d’une eurovignette.

Vous savez que l’eurovignette, ce n’est pas seulement un moyen de financer les infrastructures, c’est aussi une manière de permettre une meilleure prise en compte de cet objectif majeur qui consiste notamment à transférer une partie du fret de la route vers le rail.

Ce projet d’eurovignette était un peu en panne. J’ai obtenu que la présidence luxembourgeoise nous permette de l’évoquer au prochain Conseil des ministres des transports au mois d’avril. Evidemment, le nouveau dispositif aura un impact direct sur le financement du réseau RTE et notamment sur les projets transfrontaliers. Il devrait nous permettre aussi d’autoriser des surpéages d’au moins 25% sur les autoroutes alpines, ce qui permettrait d’engendrer des recettes pour boucler les financements des tunnels du Mont Cenis et du Brenner.

C’est évidemment très important. Il y a des difficultés, vous les connaissez, il y a notamment le problème de l’affectation. Monsieur le Président de la Fédération des Travaux Publics français connaît bien ce problème, mais dans tous les Etats membres il y a des ministres des Finances qui souhaitent toujours éviter l’affectation de ressources. C’est pourtant la condition absolue si nous voulons vraiment que les infrastructures puissent être financées convenablement.

J’en viens à la troisième condition, qui est celle d’avoir des instruments de financement innovants. Je suis toujours dans le financement ; je viendrai après à la mise en œuvre de tous ces financements.

Nous devons essayer de développer les montages « partenariat public-privé ». La Commission, à ma demande et à celle de mon collègue Joaquin Almunia, va proposer prochainement la création d'un instrument de garantie, qui devrait être financé par des crédits prélevés sur le budget européen 2007-2013. Cet instrument de garantie devrait couvrir les risques encourus dans les premières années d’exploitation des infrastructures.

Pourquoi un tel instrument ? Nous souhaitons que les banques du secteur privé participent plus facilement aux montages financiers des projets du réseau transeuropéen de transport pour augmenter notre effet de levier. Or, pour donner confiance aux banquiers – je parle sous le contrôle de Monsieur de Kerchove –, il faut que nous puissions apporter une aide ciblée qui nous permette d’intervenir sur la phase initiale d’exploitation de l’infrastructure. C’est la période la plus délicate à passer. Vous savez, à un moment donné, l’infrastructure va être tellement fréquentée qu’elle deviendra rentable, mais les premières années de mise en service se traduisent souvent par des déficits que l’on ne peut pas demander aux actionnaires, aux prêteurs du privé de supporter intégralement, sinon vous ne trouverez plus sur les marchés financiers le moyen de financer ce partenariat public-privé. L’instrument de garantie est de ce point de vue un élément très important.

Mon quatrième point porte sur le respect des engagements financiers pris par les Etats membres.

Vous allez me dire : « Comment allez-vous y parvenir ? » C’est simple, aux ministres des Transports qui viennent me voir, je dis : « vous savez que le respect des engagements financiers des Etats membres sur les différents projets est un préalable indispensable au déblocage des crédits européens ».

Finalement, ce seront les projets les plus mûrs pour lesquels les Etats membres feront la démonstration de leur engagement ferme à réaliser l’infrastructure avant 2020 qui feront l’objet d’une allocation budgétaire au titre du budget des RTE. C’est fondamental.

Je vous ai indiqué les quatre conditions liées directement au problème du financement.

La cinquième condition n’est pas d’ordre financier, elle porte sur la coordination : elle implique que nous ayons vraiment un moyen de suivre les grands projets prioritaires par une coordination financière et technique solide.

Nous allons nommer des coordinateurs européens dont l’autorité et les compétences sont reconnues. Dans un premier temps, ils seront six et s’occuperont de six projets transfrontaliers prioritaires.

Que vont faire ces coordinateurs ? Ils vont assurer une médiation efficace entre les gouvernements pour créer les conditions propices à l’avancée des projets. Leur tâche sera certainement un peu technique, mais elle sera surtout politique, pour créer l’esprit et les conditions permettant de faire évoluer effectivement une partie du trafic vers le rail et le transport combiné.

Car dans les réseaux transeuropéens, il y a bien sûr une partie routière, mais elle est relativement limitée. C’est surtout dans les dix nouveaux Etats membres que nous construirons des autoroutes et que nous achèverons des raccordements autoroutiers.

Pour les quinze Etats membres plus anciens, nous aurons surtout à construire ces grands corridors ferroviaires ou quelquefois, comme pour la Baltique, à améliorer un transport intermodal maritime, ferroviaire, routier (c’est aussi le cas en France, avec un projet prioritaire, Seine Escaut, consacré au fluvial).

L’idée est non seulement de créer des infrastructures mais aussi de faire en sorte que ces infrastructures permettent de transférer une large partie du fret qui va croître. Si nous ne faisons rien, le fret va être de plus en plus mis sur la route avec des perspectives d’encombrement terribles.

Ce qu’il faut, c’est l’intermodalité. Mais, comme je l’ai dit le jour où nous avons, avec le Président Barroso, rencontré la présidence néerlandaise en fin de mandat, « l’intermodalité, la concurrence, tout cela c’est très bien mais cela ne se fait pas sans investissements et, pour que le marché fonctionne, il faut des investissements ». Cela, c’est un point majeur pour nous.

Car, et je voudrais terminer sur ce point, je crois que la compétitivité de l’Europe se joue bien sûr à travers le marché. Nous savons les bienfaits du marché unique.

Moi, je suis un peu agacé parfois de voir opposer libéral et social. Si libéral veut dire adhésion au marché, à la concurrence, je suis un adepte du marché, de la concurrence. Et je suis convaincu en même temps que le marché et la concurrence ne peuvent pas nous livrer à eux seuls la compétitivité.

Il n’y a qu’à regarder les Etats Unis ; s’il n’y avait pas aux Etats-Unis un apport constant, notamment à travers les grands investissements militaires, un apport à la recherche privée, les Etats-Unis ne connaîtraient pas un taux de croissance aussi important.

Je crois qu’il ne faut pas oublier que l’innovation, l’investissement et la recherche sont des éléments majeurs de la compétitivité.

Et il y a un troisième élément qu’il ne faut jamais oublier. Je dirais, parlant un peu dans l’esprit des grands Commissaires que vous avez cités, cher Président Vincent : il y a aussi les femmes et les hommes. J’y crois beaucoup, je crois qu’il faut les former, les mettre en condition de pouvoir s’adapter à tous les projets technologiques.

Et quand on parle d’intermodalité, cela veut dire aussi que les marins savent travailler avec les cheminots, que les cheminots savent travailler avec les routiers etc. C’est fondamental, c’est tout un mode de développement à l’européenne qui se sert de la formation des femmes et des hommes comme d’un levier puissant de développement.

Je crois que c’est ce trépied qui permet la compétitivité et le développement. Nous sommes certes des partisans du marché mais nous savons qu’il faut aussi les deux autres pieds de ce développement.

Voilà, chers amis, ce que je voulais vous dire en introduction.

Maintenant, je serai très content de pouvoir répondre à vos questions, à vos interrogations et à l’avance je vous remercie de nous aider et je renouvelle mon grand merci au Président Vincent. Il faut faire avancer tout cela parce que c’est vraiment le sentiment d’une Europe qui progresse.

Nous sommes à la veille, je ne vais pas vous faire de confidences, parce que je ne peux pas, de l’ouverture des propositions concernant Galileo. Ce qui nous fait plaisir, c’est que quelque soit le résultat (l’entreprise commune Galileo et son président sont tout à fait formels), les projets des uns et des autres sont de très haut niveau. L’intelligence européenne s’est mise en marche et nous allons avoir de bonnes surprises quant à la qualité des projets Galileo.

Je vous le dis très honnêtement, il faut croire de toute notre âme à cette Europe qui peut beaucoup progresser sur le plan de la mobilité à la fois par l’effort financier mais aussi par la sécurité des transports.

Derrière les transports il y a toute la technologie qui progresse. Tout à l’heure, Daniel Vincent a cité Millau, c’est une magnifique technologie. Pour ceux qui auront la chance de le découvrir, cet équipement est splendide, en plus il embellit encore ce paysage magnifique.

Mais il y a une technologie, ne serait-ce que sur le ferroviaire, par exemple l’ERTMS qui va permettre enfin d’européaniser le chemin de fer ; çà c’est un projet formidable.

Le chemin de fer, c’était un peu l’exemple même de l’enfermement entre les frontières d’un mode de transport, et nous allons l’européaniser. Franchement, cela vaut la peine et je vous le dis très simplement, je suis très heureux d’être en charge de ce dossier pourvu que nos Etats membres n’oublient pas de penser à leurs enfants et leurs petits-enfants et à leurs citoyens de demain car ils leur demanderont des comptes si les investissements n’ont pas démarré en temps voulu.



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